M’Hamed BOUKHOBZA.


« Octobre 88  Evolution ou rupture . ?    

Extraits de Texte

 

Le produit des valeurs culturelles, qui définissent l’identité d’un peuple , ne peut être que le résultat d’un effort constant de plusieurs générations  p 20

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Réduits largement à la dimension de micro-communautés, de larges pans de la société vont promouvoir d’autres formes d’organisation pour s’imposer ou s’opposer au système en place. Ce sera l’éclosion du mouvement associatif du type culturel, sportif, religieux ou politique. Sous des couverts multiples, les associations vont en fait développer une culture de la résistance et d’exclusion par rapport au système colonial, au fait de sa puissance  p26

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L’histoire qui surnage dans la conscience populaire était faite de spoliation, d’injustice, d’humiliation, de violence et d’arbitraire. La sécurité, la dignité, les vertus morales et le dialogue serein étaient le fait de pratiques situées en dehors du cadre légal. Ainsi a vécu durant de longues décennies la société algérienne dans ses rapports à l’administration. En fait cette société s’est organisé pour vivre en dehors du système en place en sécrétant de multiples canaux d’expressions et en développant une culture du rejet de contestation, ancrée sur les valeurs permanentes de justice et de dignité.  p28

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Or le propre du sois développement C’est précisément une situation chronique de non satisfaction des besoins sociaux .

S’il ya un marché, il est le fait d’une économie pour les minorités au pouvoir. Il en résulte des disparités des niveaux de vies particulièrement vives. Dans cette situation l’Etat est un état au service des catégories sociales bien spécifiques, laissant en marge le gros de la société, le quel pour assurer sa survie, est condamner à s’organiser comme il peut. Il en résulte que l’état en règle générale n’a qu’en emprise limitée sur la dynamique qui traverse la société. Cette dernière pour fonctionner, développe ses propres règles et ses propres systèmes de normes en marge de la légalité. p32

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La force de l’état dans une économie sous développée du type libéral  réside principalement dans la protection des intérêts des groupes dominants et aussi de la faiblesse des pouvoirs parallèles pour contester le pouvoir central .  p33

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La première préoccupation des citoyens est la préservation de leur dignité en tant que membres d’une communauté et au sein même de leur famille p35

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            La société secrète ses élites selon ses rythmes et ses règles. Or souvent ces élites là, demeurent en marge de l’organisation, officielle de la société et l’on arrive à la situation où n’émergent ni intellectuels, ni artistes connus ou reconnus, ni homme de lettres.

Or ce sont ces catégories qui ont pour mission de développer les normes et les valeurs qui donnent à la société ses raisons d’exister et d’espérer, et ce sont ces valeurs qui forment des habitudes, des reflexes portants sur tel ou tel aspect de la vie en société ou de la vie publique et qui constitueront avec le temps les éléments qui définissent l’identité nationale.

Les cadres et intellectuels sont nécessaires à toute émancipation et intégration socioculturelles de la société. Ce sont eux qui façonnent leurs attitudes autour de valeurs communes ; ce sont encore eu qui assurent la production de repères culturels, éthiques et esthétiques, issus d’une valorisation de notre histoire, de notre patrimoine et de nos aspirations. Les occulter, les négliger revient à vider la société de sa substance culturelle pour ne lui laisser que ses ressorts matériels de reproduction biologique, c’est la déconnecter de son ancrage et de  ses perspectives historiques et créer les conditions pour une dérive sociale généralisée.

L’état a bien sure son rôle à jouer dans ce domaine et le fait qu’il n’y as pas de stratégie  visant à mettre en valeur partout et toujours les hommes de culture, à les associer à la vie nationale, à élever leur statut et faciliter leur initiative, à les faire connaître et à favoriser l’expression de leur vocation diminue l’intérêt de toutes ces populations vis-à-vis de l’Etat et crée un vide identitaire porteur d’incertitude.

Parfois ces élites cessent d’être indifférentes pour prendre ou alimenter des attitudes contestatrices vis-à-vis de l’action et du discours initiés par le pouvoir. De part la domination culturelle qu’elles peuvent exercer sur des catégories relais et notamment les cadres et de larges pans de la jeunesse estudiantine. L’opposition larvée qu’elles manifestent vis-à-vis d’un Etat jugé indifférent à elles et à leurs préoccupations, finit par s’étendre sur toute cette fraction de la société sans laquelle rien de bien solide ne peut être construit.

Tout ce monde au plan intellectuel, culturel et technique tend progressivement à tourner le dos à un Etat qui proclame un discours particulièrement généreux et qui dans les faits parait fonctionner sur une logique de quasi exclusion.

Une illustration pertinente de cette situation peut etre évoquée à propos de difficultés que rencontrent tous les intellectuels qui, pour des raisons diverses, se retrouvent en marge du système. On peut citer pèle mêle  leur quasi absence au sein des institutions électives aussi bien locales que nationales, l’absence de considération aux hommes de culture, la marginalisation de l’université, le caractère dérisoire de la production culturelle, l’extrême pauvreté des relations entres le «  pays officiel  » et l’élite de la culture nationale, les conditions matérielles des cadres, etc ..

Cet état des choses, en se perpétuant, alène le rapport de cette catégorie de citoyens à l’Etat et à tout ce qu’il incarne. Contrairement à ce qui a été observé à propos de l’idée que se fait le citoyen de condition modeste, ici, ce n’est pas la nécessité de l’Etat qui est en cause, ce sont ces actes, son fonctionnement , ses rapports à la société et les valeurs qu’il véhicule ; c’est en bref la manière de gérer les aspirations les plus élevées de la communauté nationale et qui ne se limite pas à la disponibilité de produits de première nécessité.

L’intérêt souvent tardif porté à certains hommes de culture, après leur décès, illustre  contrario l’ambigüité des relations Etat-intellectuels. Ils ne sont reconnus par le pays officiel qu’une fois disparus.  p40 41

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En matières de choix des responsables les liens personnels ou franchement l’appartenance régionale a de tout temps été une source essentielle de recrutement et de promotion….aussi bien les promotions que les disgrâces demeurent des événements liées  à la conjoncture et renforcent dans les consciences des intéressés le caractère plus ou moins arbitraire et imprévisible de leur devenir. p38 39

On ne peut que s’interroger  par ailleurs sur les raisons mystérieuses qui poussent les algériennes à opter pour des uniques noires introduites  à Bagdad par les Abbassides au 8 eme siècle, sous l’influence perse et pour éliminer la couleur blanche des vêtements instaurés par les omeyyades de Syrie.  p222

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Au plan de la culture savante, celle enseignée dans les institutions éducatives, on relève une orientation scolaire particulièrement irrationnelle et l’absence d’une politique de promotion culturelle active. Bien au contraire, l’enfance algérienne a eu à subir durant au moins les dix premières années de l’indépendance une véritable déculturation ayant pour origine le recrutement massif d’enseignants de l’Orient arabe dans le cadre de ce qu’on appelle l’arabisation de l’école primaire. Au niveau supérieur de la production culturelle, on peut affirmer que les hommes et les femmes de culture n’ont pas dans leur pays un statut valorisant ou gratifiant.  p222

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Si l’on exclut quelques noms qui ont émergé avant même l’indépendance, on peut dire qu’en trente années d’indépendance, le pays n’ pu produire et retenir des historiens ou des philosophes de renom, de grands romanciers, des poètes, ou chanteurs ayant acquis une notoriété établie à l’échelle du pays, ni de grandes personnalités scientifiques d’envergure nationale ou internationale, faisant la fierté de la société et des institutions qui les ont  formés. Il va s’en dire qu’une telle situation ne signifie pas l’absence d’hommes de culture. Elle signifie surtout que le peu qui existe est allé ailleurs, à l’étranger faire valoir ses talents.

On peut dire que finalement cette fierté est pratiquement réduite au seul monde du sport d’où émergentes quelques vedettes sui se sont imposées sur les stades étrangers. p222

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Une identité nationale se construit laborieusement, méthodiquement sur la base d’un projet de société  parfaitement conçue,. Elle s’entretient, elle s’enrichit. Le siège de cette identité est la mémoire qui doit être structurée  et défrichée dés la tendre enfance, en y ensemençant les valeurs et les normes de référence, qui font l’histoire de la société et y développant des aptitudes  à l’enrichissement permanent de cette identité. p226

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Il n’y pas de formation d’une identité d’une manière spontanée sans action volontariste sur l’environnement culturel,, à tous les moment de la vie .  p226

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Octobre éclate … on est passé d’une extrême  (monopole politique) à un autre ( plus d’une trentaine de formations politiques deux années après ) il s’agit là d’un passage abrupt qui illustre l’existence d’une opposition multiple et non structurée  du système en place ; cette opposition n’a pas eu l’occasion de manifester, elle n’a pas eu ou pas su s’organiser. C’est pourquoi on affaire à une opposition émiettée, atomisée, se manifestant autour de personnalité ayant souvent joué un certain rôle au  cours de la libération armée, ou encore des personnalités connues pour leur itinéraires particuliers dans la contestation du système. Dans tous les cas, ce sont des cadres que le système du parti unique à produits mais rejetés pour mille et une raison dans l’opposition. Hormis le cas des partis ayant participé aux élections locales et juin 90, il est aujourd’hui difficile faute d’études  et de recherches  appropriées d’apprécier l’impact sur le devenir socio-politique de cette myriade de formations. Parions néanmoins que le plupart d’entre elles est destinée à rejoindre les grandes formations, à disparaître ou à se reconvertir

La situation crée par le multipartisme et les conditions dans lesquelles ce dernier évolue,, incitent à l’interrogation sur les perspectives auxquelles ont débouché les émeutes

Ces dernières auraient pu tourner à la révolution, c’est-à-dire à la rupture violente remettant en cause le système institutionnel en place. L’ouverture politique immédiate à éviter la révolution.

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si cette révolution n’a pas seulement été mise momentanément en veilleuse et qu’elle est inscrite dans la logique des réformes en cours   P 229

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Le résultat est qu’aujourd’hui aucune formation politique ne peut se positionner sans référence à la culture et à la religion. D’autres ont considéré tout simplement la religion comme cadre unique d’expression politique. C’est là un constat et l’avenir dépend de ce qui

va être fait avec ce type de référence. P 233 – 234

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Le risque est grand d’assister à une accumulation et à une libération exacerbée d’antagonisme à base doctrinale avec les conséquences que l’on devine sur la cohésion sociale et l’unité du pays. Ce faisant aussi bien la religion que la démocratie et le développement seront dans une telle perspective remis en cause et perdu de vue. Une telle situation invite çà la vigilance et à penser le politique et le religieux à la fois dans ce qu’ils ont de commun et dans ce qui le différencie. Elle invite en tous les cas à s’inspirer précisément de l’islam, qui se veut être la religion d’une communauté du juste milieu, et qui donc refuse tous les extrêmes, qu’ils soient de nature juridique, politique, culturelle ou autre.  p234-235

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L’absence ou l’extrême faiblesse d’une production culturelle national, a crée un vide et vite comblé par ma culture étrangère généralement occidentale. Il en résulte une réaction   portée tout naturellement sur la résurgence de l’idéologie religieuse dont la radicalisation a eu lieu au fur et à mesure que se développe la crise.  p235

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Sur le plan historique, on constate à ce jour que tout notre passé  quand il est connu est raconté essentiellement par des étrangers. Aussi bien la grande histoire que  la récente occultent les préoccupations identitaires de notre société. … depuis pratiquement l’indépendance on peut dire que peu de choses a été réalisé  par nous même su cette question vitale.

Or L’écriture  de l’histoire et son inculcation  à la société sont incontournables pour forger l’âme d’un peuple, construire ou reconstituer sa mémoire.

On ne connaît pas la vie des dizaines de héros des guerres de résistance de l’Algérie punique, romaine, byzantine. L’histoire de l’Algérie musulmane se limite pratiquement à la thèse  de Ibn khaldoun. Cette méconnaissance est aussi importante pour l’histoire de l’Algérie coloniale, hormis quelques indications décontexualisées et sommaires qui ne peuvent satisfaire ni lettrés, ni le commun des mortels. L’histoire du mouvement national et de la guerre de libération  qui ont vu se sacrifier des générations entières demeure encore un non dit pour l’écrasante partie de la jeunesse ; pour les moins jeunes, en parler dans le langage de l’histoire, c’est-à-dire avec une certaine volonté à affirmer des vérités, est encore un vœu pieux. Les cohortes des milliers de résistants, de centaines de responsables ayant tout donner pour permettre à l’Algérie de recouvrer sa dignité ne devrait-elle pas constituer une source inépuisable d’inspirations aussi bien pour les historiens que pour les hommes de culture ?

La jeunesse qui n’a pas connu cet immense élan d’une société entière pour se libérer n’a eu droit qu’à quelques bribes diffusées ça et là à l’occasion d’un anniversaire d’une bataille celebre ou d’un fait important. Cette méconnaissance est tellement épaisse qu’on relève depuis quelques temps des pratiques inconcevables il ya à peine deux ou trois ans. Ainsi des héros nationaux de la guerre d’indépendance ne sont plus évoqués que dans leur douar d’origine à l’occasion de l’anniversaire de leur mort ou l’assassinat par les forces d’occupation ( Ben M’hidi , Didouche Mourad, Ben Boulaid etc … ) la même situation concerne de plus en les grands noms de l’histoire nationale, tel que l’émir Abdelkader ou Ibn Badis,  Cheikh El Haddad, ou El Mokrani. Sous d’autres cieux, de vulgaires criminels de guerre (du point de vue de notre société) font partie de la grande histoire de leur peuple. Aujourd’hui encore, la jeunesse ne sait pas quoi faire d’une histoire chargée qui plonge ses racines dans la nuit des temps. On lui parle de Massinissa et de Jugurtha, mais aussi de Okba Ibnou Nafaa et de Tarek Ibn Ziad. Comment concilier des discontinuités spirituelles et culturelles de notre histoire ? Comment valoriser dans un même élan, l’histoire païenne, chrétienne, islamique. Comment doit-on assurer une cohérence identitaire à ce peuple, prenant en charge toutes ses gloires et toutes ses servitudes ? Quels sont les héros à privilégier comme le font toutes les sociétés dont la mémoire collective a été structurée  par leur histoire. Si Tarek Ibn Ziad, un enfant de chez nous a bien donné l’Espagne à la civilisation arabo – musulmane, quelle place doit il se contenter d’évoquer son nom ou celui du rocher qui l’a immortalisé, ou faudra t il l’exhumer pour le faire vivre dans nos références, lui donner un visage, une image, qui balise notre inconscient et imaginaire collectifs ? Tarek n’est pas probablement seul ; il doit y avoir des dizaines d’autres grands dans notre histoire. A quand leur «  découverte »et leur entrée dans notre existence ?

Si nous faisons un saut de plusieurs siècles, on peut s’interroger sur l’histoire récente, celle qui a débouché sur la libération du pays. Qui étaient les héros de ce qu’on appelle la révolte d’El Mokrani, celle de Boubaghla du soulèvement di des Ouled Sidi cheikh ( dont on ignore les noms des chefs politique et militaire ) de l’épopée brève mais combien significative de Lalla Fatma N’Soumer ? Les grands noms à l’origine des événements de Mai 45 ? Quelle est la place du mouvement de libération nationale  avant novembre 1954 ? qu’avons-nous écrit sur tout les grands acteurs de notre histoire ? Quels films avons-nous réalisés sur eux et sur les événements qui ont jalonné la formation de notre identité ? Toutes ces questions et des milliers d’autres demeurent suspendues et parfois équivoques parce que nous n’avons pas fait ce qui est nécessaire pour fixer des figures derrière chaque grand événement nous familiariser avec les faits et les acteurs e ces grandes étapes de notre histoire, apporter les réponses aux questions que se pose une société qui a passé le plus clair de on existence à défendre sa liberté. A titre comparatif, il suffit de voir ce qui se passe en la matière chez nos voisins du Nord pour avoir une idée de l’ampleur du vide en matière de connaissance de notre histoire. Or une société qui ne s’identifie pas à son histoire est une société disponible à toutes les aventures, à toutes les servitudes ; elle est notamment disponible pour subir l’histoire des autres, qu’ils soient d’occident ou d’ailleurs.

On a dit par le passé que le seul héro, c’est le peuple. C’est là un raccourcit qui prive le peuple de son génie principal ; celui d’avoir généré des hommes et des femmes qui, à un moment donné ont incarné sa volonté et ses aspirations et qui ont été suivis pour rompre les chaines de servitude. Il n’y a que la foule qui n’a pas de leader ; le peuple est le produit d’une histoire et d’une culture qui se projette nécessairement dans tous ceux qui en représentent une ambition, une fierté, un futur, une aspiration. La grandeur de ce peuple réside essentiellement dans sa capacité à «  produire  » continuellement des grands personnages que ce soit dans le domaine de l’action intellectuelle, culturelle, politique, religieuse ou militaire. p213 -216

M’Hamed BOUKHOBZA

Octobre 88  Evolution ou rupture . ?

Editions Bouchène 1991

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